
Matrescence sans toi
Pastel sec, 30x40 cm
Maman,
Novembre 2018, le test de grossesse est positif. Lorsque les deux barres se sont affichées, il ne m’a fallu que quelques minutes pour être « maman » dans mon cœur.
Maman, je suis enceinte !
Première échographie, on m’annonce que ce petit être s’est accroché aux alentours du 09 novembre 2018. Cette date noire est alors devenue une belle revanche pour la vie.
Pendant, toutes ces années qui séparent cette grossesse et ta disparition, tu m’as énormément manqué. J’ignorais encore que ce manque n’était rien comparé à ce qui m’attendait.
C’est parti pour le suivi de grossesse. Les prises de sang reviennent mauvaises, on m’explique que j’ai contracté la toxoplasmose.
Maman, qu’est-ce que je dois faire ?
S’enchaine les prises de sang, l’attente. On doit se préparer au pire. Tout s’effondre, on arrête d’annoncer la nouvelle à nos proches. Quelques semaines après, le verdict tombe, vous avez contracté la toxoplasmose probablement 1 ou 2 mois avant de tomber enceinte, le risque 0 n’existe pas mais la gynécologue est confiante. On commence alors le traitement. La grossesse se poursuit sans encombre accompagnée de quelques cachets quotidiens.
Maman comment as-tu vécu tes grossesses toi ? Est-ce que tu avais pris beaucoup de poids ? Est-ce que tu avais des nausées ? Maman pourquoi ne m’as-tu pas raconté ton vécu ? Pourquoi m’as-tu laissé ignorante face à la maternité, face au tsunami qui va arriver ?
Printemps 2019, on apprend que c’est un garçon. Une coïncidence, pour certains oui ; mais pour moi, c’est encore un signe.
Je sais maman que tu aurais tant aimé avoir un troisième petit garçon.
Les premiers achats commencent mais tu n’es pas là.
Maman, est ce que je dois prendre une taille naissance ou du 1 mois ? Est-ce que tu penses que je dois allaiter ? Je ne sais pas … Pourquoi on n’a pas parlé de tout ça maman ? Et si je n’y arrive pas ?

Anesthésiste, sage-femme, gynécologue … Beaucoup de personnes, beaucoup de professionnels, ton absence.
Maman c’est toi que je veux à côté de moi. Pourquoi tu m’as abandonné ? Je dois apprendre à être maman sans maman. Ce n’est pas juste.
03 aout 2019, je vais me coucher sans parvenir à m’endormir. J’ai mal au ventre, je perds les eaux.
Maman ça y est c’est le grand jour ! On y est. Je suis sereine et surexcitée mais encore une fois je ne peux pas t’appeler.
On file à la maternité, nous sommes déjà le 04 aout 2019.
On est pris en charge rapidement, test urinaire, examen, ça y est c’est officiel il ne reste que quelques heures avant de faire la plus belle rencontre de notre vie. Je patiente dans une chambre, les contractions deviennent douloureuses, le travail s’accélère. C’est le petit matin, nous sommes en salle de naissance. Pose de la péridurale tant redoutée et pourtant tant attendue. L’attente commence, 1 heure, 2 heures, 3 heures, 4 heures, …. 10 heures … j’envoie des messages pour tenir tout le monde informé de l’évolution mais pas à toi. Tu n’es pas là.
Maman si je n’y arrive pas ? Maman j’ai besoin de te parler ! Comment est-ce que je vais faire pour lui expliquer qu’il n’a qu’une mamie ?
16 heures d’attente …. 18 heures… ça y est, c’est le moment.
Maman ton petit fils arrive ! J’aimerai tellement te voir te précipiter à la porte de la maternité, voir ton visage lors de votre première rencontre, te voir le porter, être gaga au-dessus de son transat. Tout cela ne sera pas possible, je ne ferai que l’imaginer.
La sage-femme me dit : « vous poussez dès lors que vous sentez une contraction » ; mais je ne sens rien, je n’ai plus de sensation. Au bout de 30 min rien … Je ne comprends pas, tout allait bien lors des examens.
Maman pourquoi il ne se passe rien ? Aide-nous stp !
Tout va vite, la gynécologue arrive et je comprends par son regard que cela va être compliqué. Le bébé est engagé, il est trop tard, il faut qu’il naisse.
Maman je me souviendrai toujours de son regard quand elle m’a dit « je suis désolée madame mais je dois faire une épisiotomie ». Si seulement il n’y avait eu que cela …
Je ne sens rien jusqu’au moment où l’on m’écartèle en deux. Ça y est notre fils est là, il pèse 4k300.
Tout est flou, je suis focalisée sur son profil violacée et ne voit rien d’autre. C’est comme si je me trouvais dans une bulle rendant floue tout ce qui se passe autour de moi. Pas le temps de partager ce moment. Mon fils est pris en charge pour les premiers soins. La gynécologue reste avec moi, le chirurgien arrive, je comprends qu’il se passe quelque chose d’anormal. Tout le monde s’affole. On demande au papa de sortir avec bébé, je suis toute seule. Je n’ai plus mon bébé, je n’ai plus mon conjoint et tu n’es pas là non plus.
Maman je suis seule, j’ai besoin de toi, de tes bras, je veux redevenir cette petite fille.
On doit partir rapidement au bloc opératoire. Les larmes coulent, je panique. « STOP, attendez ; laissez madame voir son bébé avant de partir ». Enfin, je peux regarder mon fils qui a retrouvé un joli teint rose et mon conjoint. Mais je les laisse seuls. Mon fils n’a que quelques minutes de vie et comme moi il n’a pas sa maman à côté de lui.
Maman veille sur eux pour moi.

On arrive au bloc, on m’explique que l’accouchement a engendré des déchirures importantes et que la reprise de celles-ci ne peut se faire qu’au bloc opératoire. Je suis dans le flou. On me sangle les jambes en l’air tel on égorge un cochon, on met un drap devant mon visage. Le chirurgien commence. La douleur est atroce. STOP la péridurale n’est plus suffisante, l’anesthésiste m’endors. Je me réveille au bloc, c’est la fin, je ne sais pas quel jour on est, ni quelle heure il est mais je n’ai pas mon bébé. Je suis seule.
Maman, mon corps me fait mal, je me sens tellement faible.
Je retourne en chambre et enfin je vois mon bébé, il n’est pas seul, il est dans les bras de son papa. La nuit passe avec un corps tellement douloureux. Je ne peux pas me lever, ni m’occuper de mon fils, je suis emprisonnée par la sonde urinaire et la perfusion.
Maman, j’ai besoin de toi … ? Maman …. ? Tu m’entends ? ….
Le lendemain, je commence à comprendre ce qui vient de se passer quand la gynécologue prononce « accouchement compliqué » mais également quand la sage-femme présente la veille, verse une larme au-dessus de mon lit encore choquée de ce qui s’est passé. Rien ne va, je souffre, je suis coincée dans mon lit, je ne peux pas m’occuper de mon fils. Les visites se poursuivent jusqu’au moment où une gynécologue qui faisait probablement le tour des chambres vient m’ausculter. Chaque mouvement de ses doigts me fait hurler à la mort. Elle repart sans un mot, sans une explication. Qu’est ce qui vient de se passer ?
Egalement choqué le sage-femme présent revient en chambre et me dit j’ai noté dans votre dossier que personne ne vous touchera madame. Mais c’est trop tard… A croire que le traumatisme corporel de l’accouchement n’était pas suffisant aux yeux de ce médecin.
Maman ce médecin pourquoi est-il venu m’ausculter ? On ne m’a pas dit ? Pourquoi est-ce que j’ai eu aussi mal ? Pourquoi est-ce qu’elle a continué en m’entendant hurler ?
Je suis traumatisée par ce qui vient de se passer.
Le chirurgien vient et nous annonce, déchirure complexe, 20 points de sutures. Le combat va encore être long. Quel soulagement de voir un chirurgien si compatissant et professionnel. Il passe les consignes : « Surtout pas d’auscultation, il faut maintenir la zone propre et continuer les antibiotiques pour éviter l’infection, on laisse madame tranquille ». Pourquoi, est ce que cette gynécologue est venue avant alors ? On n’aura jamais la réponse, probablement une erreur …
Tellement faible et douloureuse je ne peux pas m’occuper de mon fils ses premiers jours de vie. Il m’est impossible d’assister au bain même en fauteuil roulant.
Maman, toute mon intimité est saccagée. Comment vais-je faire pour redevenir une femme ? Comment je vais faire pour effacer de ma mémoire ce qui vient de se passer avec ce médecin ? Maman … ?

On repart de la maternité 1 semaine après la naissance de notre fils. Encore fortement anémiée malgré une transfusion, je suis affaiblie, dans un état psychologique et physique chaotique. Je garde tout cela pour moi et continue à me battre pour mon fils et mon couple.
Maman j’aurais tant aimé te voir à la maison à nous attendre, te voir impatiente de tenir ton petit fils, j’aurais tant aimé que tu sois là pour m’épauler mais tu n’étais pas là.
1 mois après, je retourne voir le chirurgien, il se souvient de moi et m’explique être rassurée de me voir avec le sourie. Infection, poche à vie, des mots qui résonnent encore aujourd’hui dans ma tête. Les mois qui suivent sont difficiles. Il m’aura fallu 3 ans pour retrouver une intimité digne de celle d’une femme. Je n’ai pas oublié cette gynécologue et je ne l’oublierai probablement jamais. Mais aujourd’hui, je sais que la blouse blanche ne donne pas le droit à tout. Le parcours a été long, douloureux mais aujourd’hui je suis fière de me dire « j’ai réussi ». J’ai réussi pour moi, pour mon fils, pour mon couple.
Maman, aujourd’hui je vais bien. Je suis une femme, une maman, une amie.
Tu me manques toujours autant, ton absence résonne dans chacun des apprentissages de ton petit fils. Mais je t’envoie cette lettre pour te pardonner de ne pas avoir été présente pour m’aider, pour te pardonner d’avoir raté tous ces moments passés et tout ce à venir.
La féminité est le synonyme pour moi de force et non de fragilité.
Nous aimons tellement que nous sommes en capacité d’accepter la souffrance pour donner la vie. Nous faisons don de nous, de notre corps pour avoir un cœur en plus à aimer. On accepte de se livrer corps et âme dans ce nouveau rôle parfois au détriment de notre propre vie. C’est aussi notre capacité à être maman, femme, amie, amante tout en s’assurant que chacune des facettes soient suffisamment proportionnées. Mais c’est aussi avoir la capacité de se laisser submerger sans trop couler.
La maternité n’est pas un objectif de la féminité, c’est l’une des possibilités qui s’offre à nous. Pour certaine, c’est aussi avoir la force de dire « non je ne le souhaite pas ». Pour d’autres encore, c’est vouloir mais ne pas pouvoir et avoir la force de l’accepter ou de faire autrement.
D’une maman à sa maman, Laura
