Le trait résilient
Pastel sec, 30x40 cm

Un jour, une cicatrice
Une cicatrice qui a permis la naissance d’un être cher, mon 2ème fils ;
Une cicatrice qui s’est estompée avec le temps, mais qui a marqué mon corps, mon être ;
J’ai la chance aujourd’hui de pouvoir écrire sur une page blanche, une partie de mon histoire, l’histoire de cette cicatrice.
Un matin de mon 4ème mois de grossesse, je me lève comme d’habitude pour aller travailler et emmener mon fils à l’école mais quelque chose n’est pas normal. Je suis fatiguée comme je ne l’ai jamais été. Aller jusqu’aux toilettes est une épreuve. J’essaye de me préparer mais la seule chose que j’arrive à faire, c’est me recoucher. Petit à petit je perds conscience, une partie de mon visage s’affaisse. J’apprendrai plus tard que je sombrai petit à petit dans le coma.
Les pompiers arrivent, je vais à l’hôpital. Je ne comprends pas ce qui se passe, on me pose beaucoup de questions. Je dois passer une IRM pour savoir ce que j’ai. Les médecins sont inquiets, il y a un risque de perdre mon bébé. On me fait comprendre aussi qu’Il y a un risque de séquelles pour mon bébé avec le produit de contraste de l’IRM. Je ne comprends pas tout à ce moment, mais la seule chose que j’arrive à exprimer, c’est de sauver mon fils coûte que coûte, moi je passe après.
Verdict : je fais un AVC hémorragique. On me dira plus tard que vu la taille de l’hémorragie, je suis une miraculée. Du jour au lendemain, je me retrouve hémiplégique.
Le retour à la maison est très difficile. Je tiens difficilement debout, je suis épuisée. Je découvre le fauteuil roulant. Tout mon corps me fait mal. Mon bras gauche ne fonctionne plus comme avant. Les 1ères nuits sont affreuses, j’ai tellement mal aux jambes que je dois me lever plusieurs fois pour marcher sur le carrelage froid du salon. Je dois réapprendre à 31 ans à marcher, tenir mon équilibre, tenir mes couverts, me laver… Tout est douloureux. Ma capacité de concentration est quasi nulle, j’ai parfois du mal à bien articuler.

Et j’ai mon bébé dans mon ventre, j’ai peur pour lui. Je m’inquiète pour mon grand, âgé de 4 ans et demi, de me voir comme ça, de ne plus pouvoir m’occuper de lui. J’ai mal constamment mais l’une des choses les plus difficiles que j’ai pu vivre c’est de ne pas pouvoir serrer mon grand dans mes bras, lui faire un câlin avec mes deux bras, le serrer fort. J’ai passé les derniers mois de grossesse à tout faire pour retrouver au plus vite mon autonomie. J’ai musclé mon bras et ma jambe gauche, j’ai fait des séances de psychomotricité. Je me revois chez la psychomotricienne, à faire des colliers de pâtes, trier les grains de riz…, faire des jeux de logique, de concentration et de rapidité. Des jeux pour les 4 ans et plus. C’est très difficile de se retrouver à faire des activités d’enfants, sans pouvoir y arriver. J’ai pleuré plus d’une fois de ressentir cette incapacité.
J’ai eu un suivi de grossesse très surveillé. L’accouchement par voie basse est impossible. La seule option, un accouchement par césarienne sous anesthésie générale. Cela a été très difficile à accepter. J’aime parler de signe mais mon bébé s’est mis en siège durant la grossesse, comme s’il savait que ce serait moins douloureux à vivre pour moi. En tous cas j’aime à penser cette idée. A cet instant, je me suis sentie dépossédée de ma grossesse, de mes choix d’un accouchement naturel. La maladie décidait de tout. La césarienne est prévue pour le 14 février. J’accoucherai finalement le 27 janvier.
Tout se passe très vite, arrivée aux urgences. Je perds les eaux. L’anesthésiste est occupé. Je n’ai pas le droit de pousser. Je sens les professionnels inquiets car il faut aller vite. Puis on m’endort et je me réveille en salle de réveil, sous morphine, sans mon bébé ni dans mon ventre, ni à côté de moi. Je suis sous surveillance pendant plusieurs heures. Je me sens seule et perdue. Je ne pourrai le voir que le lendemain. Je sais qu’il va bien, mais cette attente est insupportable. Vais-je le reconnaître ? Va-t-il avoir des séquelles ?

Puis c’est la rencontre, Il va bien. Je vais bien. Nous sommes vivants, tous les deux. Les mois qui ont suivi, je voulais tout faire toute seule. J’ai surstimulé ma main et mon bras gauche pour montrer à tout le monde, et surtout à moi-même que je pouvais tout gérer, attacher les bodys, pyjamas, faire les biberons. La seule chose que j’ai été incapable de faire pendant plusieurs semaines, c’est le bain. J’avais une peur bleue de lâcher mon bébé dans l’eau. Je n’avais pas confiance en moi. Les 1ers bains que j’ai pu faire ont été une vraie angoisse.
J’ai repassé un examen pour connaître l’origine de l’AVC. J’apprendrai que j’ai un cavernome. Une cavité veineuse qui peut se mettre à saigner et faire une hémorragie. Je garde un handicap, non visible. J’ai des migraines, parfois très violentes, mon bras et ma jambe gauche me font mal quand je les stimule trop. Je ne peux plus faire certaines choses que j’aimais énormément. Quand je me cogne la tête, j’ai encore peur parfois de saigner à nouveau.
Mais surtout je dois vivre avec ce cavernome toute ma vie. Il est très mal placé donc inopérable. J’ai fait une radiothérapie qui a été aussi une expérience difficile à vivre. Cela permet de réduire les risques de saignements mais je vis avec une épée Damoclès. Je dois vivre normalement mais c’est difficile parfois. J’ai souvent peur, mes enfants aussi, c’est difficile de leur faire porter ce poids.
J’ai encore de la colère. Une colère car il m’a privé d’une partie de ma grossesse, de mon accouchement, une colère que ça tombe sur moi, des séquelles, des peurs qui font partie intégrante de ma vie aujourd’hui, de ne plus avoir le choix d’une troisième grossesse… Juste avoir le choix. Cet AVC est arrivé à un moment de ma vie qui aurait dû être que du bonheur, et en même temps, mon bébé a été ma force. Mes deux enfants ont été ma force. Je les aime tellement.
Cette cicatrice, représente bien plus que mon accouchement. Elle représente tout ce que j’ai vécu pendant ma grossesse et après, un lien extrêmement fort qui me relie à mon fils. J’ai mis beaucoup de temps à l’accepter mais aujourd’hui je la trouve belle. Elle est là pour me rappeler tout le chemin parcouru. Un chemin parsemé de colère, de peur, d’angoisse, de doutes mais aussi et surtout de force et de courage.
Aujourd’hui je suis fière d’elle, de ce que je suis devenue. Grâce à ce projet, j’ai eu la chance de pouvoir mettre en beauté mon histoire. Merci pour ce magnifique cadeau.
L’image que j’ai de l’accouchement et surtout mes envies ont bougé entre mes deux grossesses.
Pour mon 1er accouchement, j’avais 26 ans et je ne voulais pas entendre parler d’accouchement par voie basse. Ni d’allaitement d’ailleurs. J’avais été claire avec les différents professionnels et cela a souvent été mal réceptionné. A cette époque, je voulais vraiment que mon vagin, mes seins restent du domaine de mon corps, ma féminité, ma sexualité, et non de la maternité. Comme si je voulais que ça continue à m’appartenir totalement. Je scindais vraiment les deux. J’ai accouché à 7 mois et demi de grossesse suite à une rupture de la poche des eaux, en vacances à 800 km de chez moi. 3 jours de contractions non-stop puis un accouchement sous péridurale car j’étais trop épuisée pour pousser. J'aurais pu allaiter très facilement mais je ne l’ai pas fait, j’ai eu un accouchement par voie basse mais je n’ai pu en profiter pleinement et surtout ce n’était pas mon projet initial.
Pour mon 2ème accouchement, ça a été l’inverse. Je voulais un accouchement le plus physiologique possible. Je voulais être active dans mes souhaits, avoir la grossesse que je souhaitais. Je comptais faire de l’haptonomie. Je voulais allaiter. Mais la maladie en a décidé autrement. Je me suis retrouvée dépossédée de ces souhaits. L’accouchement m’a été imposé et il a été très difficile à vivre même si la seule chose qui comptait était que mon fils aille bien. J’ai pu l’allaiter pendant 6 mois mais cela a été très difficile.
Au final, en y réfléchissant, j’ai souhaité deux accouchements différents et pour les deux, pour des raisons différentes, je me suis retrouvée dépossédée de mes envies et demandes.

Aujourd’hui j’ai 39 ans et ma vision de la féminité a évolué au fil des années. Plus jeune, pour moi être féminine c’était rentrer dans des critères bien spécifiques, une taille 36, tant de kilos à ne pas dépasser, être fine, musclée, me sentir belle aux yeux des autres… J’ai connu l’effet yo yo au niveau du poids une bonne partie de ma vie, avec des écarts de poids parfois très importants et au final au fil des années, plus j’arrivais à maigrir, moins j’arrivais à me stabiliser. Je me suis rendue compte que je n’étais pas plus épanouie avec des kilos en moins. Aujourd’hui je ne cherche plus nécessairement à supprimer ces kilos mais plutôt à les accepter et surtout à m’accepter et vivre sereinement avec. Me trouver belle devant le miroir. Car ils sont là et font partie de mon histoire.
Pour moi, la féminité c’est se sentir bien avec son corps, son être. Se sentir bien avec SOI. Se sentir belle et désirable physiquement, bourrelets, vergetures, peau d’orange ou non, mais aussi mentalement. On peut être féminine et porter un 36 comme un 42. La seule différence va être de comment on se perçoit. Ce n’est pas le regard des autres qui importe même si aujourd’hui, le poids de la société est parfois très lourd à porter, mais le regard, l’amour et la bienveillance que l’on porte sur soi.
Céline